« Il est des façons de présenter les choses qui nous paraissent difficiles au premier abord… »

Prends, par exemple, un nuage de forme ovoïde étirée, totalement pur de ouate, égaré dans le ciel.

Prends pour le fond, face à Toi, un ciel bleu cassé courant sur l’horizon des hauteurs montagneuses légèrement enneigées, par cette saison d’un mois d’avril si imparfait.

A cela, tu ajoutes, venant de l’ouest, un rien de soleil couchant rosacé et ligneux, d’un bleu plus nuit que marine, avec des ramifications sinueuses de jaune …

Sur la face opposée au soleil, des collines plus proches se dessinent encore, où se meuvent lentement sur les cimes, quelques brouillards épais, engloutissant peu à peu l’avant de ces victimes obscurcies par la soirée tombante.

Sur le côté restant, au loin, dans un gris noir de fonte, d’énormes masses de dépressions atmosphériques, lourdes de conséquences, s’amoncèlent très lentement, parsemant par à-coups des éclairs foudroyants, résonnant d’un écho vrombissant…

Tu es au beau milieu d’un terre-plein immensément plat, sur les traces d’un chemin aux bordures donnant dans la pénombre d’un jour qui se meurt, hâtant ton pas, stressé par les petites gouttes de pluie qui précédent un terrible orage menaçant.

Le vent rameutant les masses de dépressions te pousse vers l’avant, te décoiffe et te double, rabattant par rafales tes cheveux vers l’arrière, et cinglant ton visage par gifles successives.

Tu le protèges de l’avant de tes bras, cachant la moitié du visage, d’un regard tiré par le côté glacial de cette humidité ambiante.

Les gouttes de pluie deviennent plus serrées et explosent sur le sol d’un clapotis écrasant. Tes vêtements déjà mouillés subissent l’assaut hachuré de ces presque seaux d’eau qui s’abattent bientôt à torrent sur le Site.

Ton pas se presse plus vite, alors que de tes yeux à demi protégés, tu scrutes un abri de fortune dans cette immensité qui à perte de vue ne te donne raison qu’à moitié… Une ruine à découvert au milieu de ses terres détrempées, où le chemin lui-même devient comme envahi par la nuit et les flots de l’orage sévèrement présent.

Tu cours alors te mettre à l’abri, évitant les gouttières percées par des décennies d’abandon, et dégoulinantes de cascades murales qui jaillissent par dizaines, par centaines de milles de tout côté au travers des pierres fragilisées depuis des siècles de solitude, branlantes et effritées…

La tempête explosive arrive à son apogée de déluge. Les éclairs de foudre ravagent les lieux de toute part, appuyés à l’arrière par des coups de tonnerre meurtriers de violence. Certains pans de la bâtisse fumigent et se lézardent encore plus, alors que d’autres plus fragiles encore s’effondrent par blocs sous la force du temps.

Les eaux montent encore d’un cran, dépotant comme un océan déchainé, jusqu’à recouvrir le sol de ton maigre repère. Alors, Tu fermes les yeux et Tu espères mortellement une accalmie soudaine. Tu fermes les yeux en serrant les dents, tout frigorifié que Tu sois, recroquevillé sur toi-même, te tenant le corps contre ce mur encore droit, assailli de l’autre côté par les éléments de Dame Nature Colère…

Priant presque, tu finis par trouver la chaleur nécessaire en soufflant de l’air chaud dans le col entrouvert de ton pull laminé par l’épreuve des intempéries…

Peu à peu Tu te réchauffes et tombant de fatigue corporelle et morale, épuisé, abattu, tu t’assoupies sous l’assaut des trombes d’eau !

Un silence sourd envahit alors ton esprit, tu perds connaissance.

Après un laps de temps critique, peu à peu, alors que la tempête s’éloigne enfin, ayant tout dévasté, ruiné, anéanti ce qui ne l’était déjà pas suffisamment, tu reprends conscience et tu t’éveilles.

Tu te lèves, et tu contemples les dégâts nocturnes, où les ruines sont pires encore que des ruines, des macadams de pierres, un champ de bataille perdue d’avance, où rien ne repoussera d’ici longtemps. Tout a été lessivé, décapé, arasé et terrassé en l’espace de quelques minutes.

Tu as froid, et tu décides de reprendre ta route, congelé par cette torrentielle démence de Dame Nature, qui a joué de son droit de véto légitime…

Encore quelques instants de marches, et Tu retrouveras ta demeure, bien au chaud, dans des vêtements secs, et l’esprit sans doute perturbé pour la nuit…

« Oui ! Effectivement ! Il est des façons de présenter les choses qui nous paraissent vraiment difficiles, au premier abord… »

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